Rénovation énergétique : Les folles ambitions européennes !

18 décembre 2023

Le 7 décembre, le Parlement européen et les États membres ont trouvé un accord pour atteindre plus rapidement des niveaux d’efficacité énergétique ambitieux dans le secteur résidentiel.

Ces dispositions sont-elles suffisantes et réalistes ? Quels sont les impacts sur la politique française ?

 

Mais d’abord quelles sont les principales mesures retenues par le Parlement européen ?

Le secteur résidentiel est responsable d’un tiers des rejets de gaz à effet de serre sur le sol européen. L’objectif est d’obtenir un parc immobilier « zéro émission » en 2050. Pour y arriver, le Parlement européen prévoit principalement :

  • D’abord, à partir de 2030, tous les nouveaux bâtiments construits devront être neutres en carbone grâce à une faible consommation et l’apport d’énergies renouvelables.
  • Ensuite, l’arrêt des subventions des chaudières fonctionnant aux énergies fossiles dès 2025 et leur suppression totale en 2040.
  • Pour finir, l’ensemble du parc immobilier existant devra être rénové pour devenir « zéro émission » en 2050.

 

La politique française est-elle alignée avec ces objectifs et ce calendrier ?

Globalement, oui ! La nouvelle réglementation énergétique RE 2020 pour la construction neuve est alignée avec les objectifs européens.

La loi de 2015 de transition énergétique pour la croissance verte donne également l’objectif en moyenne nationale que le parc immobilier français atteigne le niveau BBC (bâtiment basse consommation) en 2050 sans pour autant fixer l’objectif « zéro émission ». Il faudra donc systématiser l’apport d’énergies renouvelables sur l’ensemble de nos constructions existantes pour atteindre la neutralité carbone.

 

En France, ces mesures sont-elles cohérentes ?

Il existe beaucoup de confusion dans la politique actuelle. Nous confondons souvent l’éradication des passoires thermiques et l’objectif d’atteindre en moyenne nationale un parc immobilier avec le niveau BBC.

Prenons un exemple. Vous êtes propriétaire d’un bien avec une étiquette énergétique F du DPE considéré comme une passoire thermique et soumis aux interdictions de location. Vous entamez des travaux de rénovation énergétique pour atteindre l’étiquette D et ne plus être considéré comme une passoire thermique. Dans ce cas de figure, vous devrez de nouveau entreprendre des travaux avant 2050 pour viser le niveau BBC correspondant à l’étiquette A du DPE et rajouter des énergies renouvelables pour être « zéro émission ».

 

Quelle serait donc la bonne stratégie ?

Le problème majeur est que, lorsque nous faisons des travaux, c’est pour un temps long. Nos travaux sont valables pour une échelle de temps de 15 à 20 ans. Si nous faisons les choses de la mauvaise manière, tout sera à refaire. Nous gaspillons tout simplement de l’argent.

Il faudrait donc prioriser l’éradication des passoires thermiques comme le prévoit la loi de 2021 et viser directement le niveau BBC de la loi de 2015 en réalisant des rénovations globales et performantes.

 

Les accords prennent-ils en compte les émissions lors de la construction des bâtiments neufs ?

Cette dimension n’est pas la priorité de l’accord. Pourtant, sur la durée de vie totale d’un bâtiment neuf, nous estimons que 70 % des émissions sont rejetés au moment de la construction. La RE 2020, en France, prévoit par exemple de réduire de 30 % les émissions du secteur de la construction d’ici à 2031.

Viser l’objectif d’avoir un parc immobilier qui ne rejette pas d’émission pendant son fonctionnement est vertueux, mais révolutionner notre manière de construire est beaucoup plus important sur l’impact des rejets de CO2.

 

Finalement, toutes ces mesures sont-elles réalistes ?

Sur le fond, je ne conteste pas le bien-fondé de cet accord.

En revanche, je trouve qu’il y a une forme de brutalité dans la transformation de nos usages. Les délais sont irréalistes compte tenu des moyens et de l’organisation de l’État.

J’ai estimé qu’il faudrait investir entre 90 et 100 milliards d’euros par an jusqu’en 2050 pour rénover l’intégralité du parc immobilier français afin d’atteindre le niveau zéro émission.

Je pense qu’il y a un manque de vision globale entre les objectifs et les moyens pour y arriver. Il faut réinventer les filières industrielles sans compter le besoin en main-d’œuvre, la formation et l’approvisionnement des matières premières.

Je continue de penser que nous sommes face au chantier du siècle et je suis convaincu qu’il s’agit d’un défi encore plus grand que la construction des pyramides de Gizeh à leur époque.

Mais la question la plus importante est : qui va payer et avons-nous les moyens financiers de nos ambitions ?


Guillaume MILLO
Expert en rénovation de bâtiments anciens
Auteur – Chroniqueur radio
LinkedIn: linkedin.com/in/guillaume-millo
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